Accueil » Infographie » Quel médicament pour le bruxisme ?
Le bruxisme, défini comme une activité musculaire involontaire caractérisée par le serrement ou le grincement des dents, peut se manifester de jour (bruxisme diurne) ou de nuit (bruxisme du sommeil). Longtemps considéré comme une simple habitude parafonctionnelle, il est désormais reconnu comme un trouble moteur complexe, impliquant le système nerveux central, l’activité musculaire périphérique et les dimensions émotionnelles et comportementales du patient.
Dès lors, le recours à un traitement médicamenteux peut sembler pertinent pour certains patients. Mais existe-t-il un médicament spécifique contre le bruxisme ? Si oui, lequel ? Et dans quelles situations son usage est-il justifié ?
Ce texte vise à répondre de façon rigoureuse à cette question. Il ne s’agit pas de recommander un médicament, mais d’examiner les classes pharmacologiques ayant démontré une efficacité partielle ou contextuelle, ainsi que les indications cliniques précises qui peuvent en justifier l’usage.
Aucun médicament n’est aujourd’hui spécifiquement approuvé pour traiter le bruxisme, que ce soit en Suisse, en Europe ou aux États-Unis.
Le bruxisme n’étant pas une maladie en soi, mais un symptôme moteur multifactoriel, les approches pharmacologiques utilisées sont hors AMM et réservées à certains profils de patients. Leur utilisation requiert une évaluation clinique minutieuse, un suivi rigoureux, et une information éclairée du patient.
L’objectif n’est pas d’abolir l’activité musculaire, mais de réduire les épisodes douloureux, de moduler l’excitabilité neuromusculaire, ou de traiter les facteurs déclenchants, notamment l’anxiété ou les troubles du sommeil.
Les myorelaxants à visée périphérique, tels que le thiocolchicoside ou la méphénésine, sont parfois prescrits pour atténuer les douleurs musculaires associées au bruxisme, en particulier en phase aiguë. Leur efficacité demeure toutefois limitée, car ces molécules agissent essentiellement sur le tonus musculaire volontaire, alors que le bruxisme est une activité involontaire et souvent nocturne.
De plus, ces médicaments présentent des effets indésirables fréquents (sédation, troubles gastro-intestinaux, somnolence) qui en restreignent l’utilisation à de courtes périodes, sous contrôle médical strict. Leur utilisation est donc ponctuelle, symptomatique, et ne constitue pas un traitement de fond du bruxisme.
Dans certains cas, le bruxisme — notamment diurne — est clairement exacerbé par un état anxieux ou un stress chronique. Chez ces patients, la prescription de benzodiazépines à courte demi-vie (par exemple le témazépam ou l’oxazépam) peut temporairement réduire la tension musculaire et favoriser l’endormissement.
Cependant, leur utilisation présente de sérieuses limites : tolérance rapide, risque d’accoutumance, altération du sommeil paradoxal ( phase durant laquelle le bruxisme est le plus fréquent), effet rebond à l’arrêt
Pour ces raisons, les benzodiazépines doivent être réservées à des épisodes ponctuels de bruxisme anxieux sévère, dans un cadre de sevrage progressif et accompagné d’un suivi psychothérapeutique parallèle. Elles ne constituent en aucun cas un traitement prolongé du bruxisme.
Le lien entre bruxisme et antidépresseurs est paradoxal. Certains inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), comme la fluoxétine ou la paroxétine, sont connus pour provoquer ou aggraver le bruxisme nocturne, en modifiant la transmission dopaminergique et la régulation du tonus musculaire.
Cependant, dans certains cas, une dépression masquée, un trouble anxiodépressif ou un état de tension psychique chronique peut favoriser un bruxisme secondaire. Dans ces situations, la mise en place d’un traitement antidépresseur peut indirectement réduire l’activité bruxomaniaque, à condition d’être soigneusement choisi et dosé.
Les antidépresseurs ayant le moins d’impact négatif sur le bruxisme sont souvent les tricycliques (comme l’amitriptyline à faible dose) ou la tianeptine. Leur prescription relève toutefois de la psychiatrie ou de la médecine générale spécialisée, dans un cadre strictement personalisé.
Bien que ne s’administrant pas sous forme orale, la toxine botulique de type A (Botox®, Dysport®…) est une solution médicamenteuse au bruxisme périphérique. Injectée localement dans les muscles masséters (et parfois temporaux), elle induit une inhibition temporaire de la libération d’acétylcholine, responsable de la contraction musculaire.
Contrairement aux médicaments systémiques, le Botox agit de manière ciblée, sans affecter l’état de vigilance ni les autres fonctions neurologiques. Les effets apparaissent en 3 à 7 jours, sont définitifs à 2 semaines, et durent en moyenne 3 à 6 mois.
La toxine botulique est particulièrement indiquée en cas de :
Son injection nécessite une expertise spécifique, mais constitue aujourd’hui l’une des méthodes les plus efficaces et durables, avec un bon profil de tolérance.
Chez certains patients, notamment en cas de bruxisme lié à des micro-éveils répétés ou à une mauvaise architecture du sommeil, l’usage de compléments à base de mélatonine ou de phytothérapies sédatives (valériane, passiflore, escholtzia) peut améliorer la qualité du repos nocturne.
En réduisant la fragmentation du sommeil, ces substances peuvent indirectement diminuer la fréquence des épisodes bruxomanes, en particulier chez les patients jeunes ou en période de surmenage. Leur efficacité reste modeste et très variable selon les personnes, mais leur bonne tolérance en fait un adjuvant intéressant dans les formes légères ou lors d’une phase de consolidation thérapeutique.
Dans certaines formes rares de bruxisme, notamment d’origine neurologique ou médicamenteuse, les chercheurs ont exploré l’efficacité de molécules modulant la transmission dopaminergique, telles que le buspirone ou le clonazépam. Ces traitements, parfois utilisés dans les syndromes extrapyramidaux induits par neuroleptiques, peuvent réduire l’activité musculaire involontaire chez certains patients.
Toutefois, ces prescriptions restent expérimentales, réservées à des contextes très spécifiques, et ne relèvent pas de la pratique de première intention. Elles nécessitent un bilan neurologique préalable.
De nombreux patients bruxomanes, en quête de soulagement rapide, peuvent être tentés d’initier un traitement anxiolytique ou antalgique en automédication. Or, sans évaluation médicale, cette démarche est à la fois inefficace et potentiellement risquée.
Un antidépresseur mal choisi peut aggraver le bruxisme ; un myorelaxant pris de manière prolongée peut induire une sédation excessive et un relâchement postural. Seul un médecin peut décider de la pertinence d’un médicament, et de sa place dans un protocole global.
À ce jour, les études cliniques portant sur les médicaments destinés à traiter le bruxisme sont limitées en nombre, en taille et en méthodologie. La plupart sont des essais à petite échelle, souvent non randomisés, ou fondés sur des observations cliniques. Cette faiblesse du corpus scientifique empêche l’élaboration de recommandations de grade élevé, ce qui explique l’absence d’AMM spécifique.
Cette situation impose une grande prudence dans la prescription médicamenteuse. Tout traitement doit être évalué sur la base de son rapport bénéfice/risque individuel, et faire l’objet d’un suivi rigoureux. Les approches non pharmacologiques doivent être privilégiées en première intention.
Chez les patients ayant été traités par benzodiazépines ou antidépresseurs pendant plusieurs mois dans le cadre d’un bruxisme anxieux, il est impératif d’organiser un sevrage progressif, encadré médicalement. L’arrêt brutal peut entraîner un rebond anxieux, voire une recrudescence du bruxisme.
Ce processus doit être accompagné d’un travail psychothérapeutique ou comportemental, afin que le patient puisse progressivement retrouver un équilibre neuromusculaire sans dépendance pharmacologique. Ce point est crucial pour la qualité de vie à long terme et pour la prévention des rechutes.
Article rédigé par le Dr Romano Valeria
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